par Tom.
Sur cette page, je voudrais expliquer plus en détails ce qui se passe avec Karaka, ce qu’on fait de différent, et pourquoi. La réponse est complexe et longue, mais voici une tentative d’explication :
Nous gérons le bateau en tant que coopérative.
Ce que nous entendons par bateau coopératif est tout simplement un bateau géré et exploité par un groupe de personnes qui, ensemble, organisent le voyage de manière non lucrative et égalitaire, et forment un groupe fonctionnel, volontaire et temporaire ayant un objectif commun et où tout le monde a son mot à dire.
Il s’agit d’un concept d’organisation alternatif basé sur la coopération à but non lucratif, entre un groupe de personnes désirant naviguer à long terme et pour qui cela devient un mode de vie plus qu’une simple traversée.
La réalité de cette expérience communautaire est radicalement différente d’une simple traversée de l’océan en tant qu’invité, passager ou “bateau stoppeur”, et ce sentiment égalitaire et communautaire à long terme est vraiment ce dont il s’agit et nous distingue de la majorité des autres bateaux.
La Prise de décision
En ce qui concerne la prise de décision, le processus est plutôt collaboratif, la chaîne de commandement n’est pas stricte. On trouve que cela n’est pas nécessaire sur un petit bateau avec seulement une demi-douzaine de personnes à bord. Il n’existe donc pas de hiérarchie stricte sur Karaka et c’est un choix conscient.
Cela étant dit, il est inévitable que, en tant que celui qui a le plus d’expérience à bord, c’est moi (Tom) qui ait généralement le dernier mot en matière de mesures de sécurité et de directives en cas d’urgence, de tempête, quand l’ancre dérape la nuit, etc…, ainsi que pour la navigation et le réglage du bateau. Un capitaine est nécessaire, mais il ne doit pas nécessairement s’agir d’un capitaine autocratique. Sauf en cas d’urgence ou de décision à prendre rapidement, en tant que capitaine, je fais de mon mieux pour ne pas décider par moi-même, mais pour expliquer et recueillir l’avis de tous.
Pour les décisions concernant les destinations, les dates de départ, où s’arrêter, combien de temps y rester, etc…, ainsi que pour l’approvisionnement, la cuisine, les tâches ménagères, les quarts, qui peut prendre le meilleur kayak ou la meilleure couchette, etc…, autant que possible on décide par consensus. Le capitaine ou un équipier présente les informations et les facteurs variables à prendre en compte et suggère une idée. On en discute et, si tout le monde est d’accord, on fait ça. Pour choisir les nouveaux équipiers, le même processus est appliqué. L’équipage actuel, qui va passer du temps à bord avec les nouveaux, va aussi avoir son mot à dire et pouvoir consulter les candidatures.
L’Entretien
En ce qui concerne ce qui doit être fait en matière d’entretien, il m’arrive de suggérer fortement quelque chose, mais l’équipage est libre de prendre ses propres décisions et de faire ce qu’il veut de son temps.
Étant donné que tout le monde est un participant volontaire qui souhaite s’impliquer, ce n’est généralement pas un problème et le bateau reste en bon état. S’il y a quelque chose que je considère nécessaire de faire de toute urgence, je demande des volontaires ou je le fais moi-même car je préfère avoir quelqu’un motivé qui décide de le faire, plutôt que d’avoir quelqu’un qui le fasse avec réticence.
Également, on a un tableau noir dans le salon sur lequel sont énumérées les corvées à faire, et tout le monde peut en choisir une de temps en temps et s’y coller. Parfois, les équipiers me demandent simplement ce qu’ils peuvent faire pour aider ou demandent confirmation avant de faire quelque chose qui, à leur avis, a besoin d’être fait.
Lorsque la liste devient trop longue sur le tableau, on décide d’une journée de maintenance et on coche quelques trucs de la liste.
Le Capitaine
On a de fortes tendances anarchistes mais on ne se prétend pas appliquer une théorie parfaite ni être des puristes, il s’agit simplement d’être aussi égalitaires que possible.
Dans ces circonstances, être capitaine est simplement l’un des boulots à bord.
Ceci est ouvertement inspiré des anciennes organisations de flibustiers / pirates, à la différence que l’équipage “vote” pour le capitaine de son choix par sa décision d’embarquer sur Karaka ou non. Il peut « voter » en débarquant à tout moment si le capitaine abuse de sa position et n’agit pas d’une manière qui lui convient.
Dans cette position non autocratique, le capitaine a un job spécifique qui lui est attribué par les autres en raison de sa plus grande capacité à accomplir ce boulot, mais son autorité s’arrête là et dans les affaires qui ne sont pas directement liées à ses fonctions, il se réfère au groupe comme tout le monde.
Sur Karaka le capitaine n’est pas le “pacha” qui décide de tout. Une autre personne à bord possédant le niveau approprié de compétences et de connaissances aura son propre domaine de compétence et son autorité, par exemple en relations publiques et en communication, ou en organisant des événements sociaux, ou en organisant des activités et des ateliers à bord, en prenant le lead dans une jam session, etc…
L’objectif étant bien sûr de coopérer et de mettre en commun ressources et compétences.
Un style de vie avant-tout
Il est important de comprendre que pour nous, naviguer sur Karaka n’est pas une chose temporaire, c’est un style de vie.
Ce n’est pas un passe-temps, ce ne sont pas des vacances, ce n’est pas un business, ce n’est pas un sport. C’est tout cela à la fois et autre chose aussi.
Karaka, c’est à la fois maison, investissement, banque, transport, atelier, pub, salle de classe, club de voile…
Sur Karaka, tous les aspects de nos vies sont concentrés dans le bateau.
Cela nous plaît parce que vivre sur Karaka est ce que nous faisons. On ne gaspille pas notre temps à attendre la fin de nos vies pour finalement faire ce que l’on avait vraiment envie de faire depuis le début. On n’a pas besoin de prendre 3 semaines de congés pour partir en vacances, ce qu’on aurait choisi de faire pendant nos vacances on le fait tous les jours.
Quand les gens me demandent ce que je fais de ma vie, je leur dis que je vis sur un bateau. C’est ce que je fais. Je ne fais pas la course autour du monde, je ne fais pas tourner une entreprise de charter, je ne suis pas en congé sabbatique, je ne suis pas en retrait de ma « vraie » vie.
Je mène un mode de vie durable sur mon bateau. Cela implique de faire le tour du monde, de partager le bateau avec d’autres, de visiter de beaux endroits, de faire de l’entretien pour garder le bateau en état, de faire de la musique, de faire de la plongée, de la pêche et du surf, de faire la fête, et au fond simplement de passer le meilleur temps possible.
Cela dit, l’équipier qui ne vient que pour un seul des aspects de la vie à bord va être déçu car il ne trouvera pas ce qu’il est venu chercher. Les équipiers qui se joignent à nous devront s’impliquer dans le mode de vie entier.
Bien sûr, on ne s’attend pas à ce que tous les équipiers adoptent ce style de vie pour toujours, bien que quelques anciens membres de l’équipage aient maintenant leur propre bateau, mais on attend des équipiers qu’ils cherchent à faire l’expérience de ce style de vie et que cela soit leurs motivations principales.
Un équipier ne peut pas venir seulement pour faire de la voile, ou pour voir un pays qui l’intéresse, ou pour vivre dans une communauté alternative, ou parce qu’il a pris quelques semaines de congés et veut se détendre.
La vie à bord est incontournable pour tous les membres de l’équipage. C’est un tout. C’est l’une des raisons pour lesquelles on préfère les personnes qui peuvent rester au moins plusieurs mois et le plus longtemps possible.
Une période plus courte ne laisse pas assez de temps pour s’impliquer et ceux qui ne peuvent pas prendre le temps de s’impliquer rateront “l’esprit Karaka”.
Temps Libre
Karaka n’est pas un bateau de sport. Bien qu’il soit important d’être en forme car ça peut être tendu et sportif à l’occasion, naviguer sur Karaka est plutôt relax.
Pendant une traversée, je dirais que seulement 10% du temps est consacré à la navigation. C’est beaucoup de temps d’inactivité dans un environnement fermé, encombré et rempli de monde.
Les personnes super-actives qui ont besoin de bouger tout le temps seront déçues par la navigation hauturière. La plupart du temps, c’est juste relaxant et simple, parsemé de temps en temps de manœuvres et de petits coups d’adrénalines.
À bord, Il faut savoir s’occuper, lire, méditer, cuisiner, bavarder, pêcher, être créatif, etc.
Apprentissage de la voile
Un autre truc que je veux mentionner concerne l’enseignement de la voile à l’équipage.
J’apprends aux gens, dans la mesure de mes possibilités, bien que Karaka ne soit pas un bateau-école. Je ne suis pas un instructeur de voile qualifié et je ne délivrerai aucun certificat. Il est important de comprendre que d’apprendre par cœur comment Karaka fonctionne (ou n’importe quel autre bateau d’ailleurs) est presque inutile. Ça peut être utile dans certaines situations sur Karaka, mais cela ne fera de personne un marin complet.
Donc, bien que je réponde aux questions et que j’explique les choses à ceux qui tentent activement d’apprendre, je ne consacre pas beaucoup d’énergie à enseigner aux gens comment faire les choses.
Je préfère leur montrer comment ça marche, les laisser faire, et leur donner l’opportunité d’apprendre à comprendre comment faire les choses, en les faisant eux même, sur le tas.
De cette façon, les gens finissent par comprendre ce qu’ils font au lieu d’être des automates à mes ordres et, ce qui est plus important, ils gagnent en confiance et sont convaincus que s’ils oublient un savoir spécifique, ils pourront le découvrir à nouveau en cas de besoin.
La quantité de connaissances nécessaires pour faire fonctionner un voilier est assez élevée et peu de gens peuvent prétendre se souvenir de tout après seulement quelques mois, voire quelques années de navigation.
Après un certain temps, avec de l’expérience, les choses deviennent naturelles, mais pour le débutant, le plus important est de pouvoir déterminer correctement ce qui doit être fait et comment, d’être adaptable et réactif et aussi d’anticiper.
Naviguer sur Karaka aide vraiment avec ça.
Je n’aime pas apprendre aux gens quoi penser, je préfère leur apprendre à penser, à s’adapter, à gérer toute situation comme elle vient.
Pendant la navigation côtière, les périodes de navigation étant plus courtes, les manœuvres sont plus proches les unes des autres.
Il est également possible d’aller explorer à terre, et donc trouver quelque chose à faire est beaucoup plus facile.
Pourtant, la vie à flot est lente.
La vie sous les tropiques est lente aussi.
La vie à flot sous les tropiques est particulièrement lente.
Il n’y a pas de rush.
Quelques impondérables
La vie sur Karaka est plutôt captivante, mais il y a des moments où rien ne se passe, car il pleut dehors ou parce que c’est dimanche et que tout est fermé en ville et que le point break est plat.
Il y a des moments où il faut travailler sur le bateau.
Il y a des moments où nous devons rester sur le bateau car il est trop difficile de mouiller près d’un point de débarquement. Il arrive qu’on mouille à côté des égouts, près d’un terminal de ferrys, en face d’une ville polluée et qu’on soit coincé là tant qu’une pièce de rechange pour le moteur n’est pas arrivée par la poste.
Il y a des moments où ce n’est pas si excitant, et les gens qui cherchent une activité intense et constante ne la trouveront pas nécessairement sur le bateau.
Un bateau c’est comme beaucoup de choses dans la vie, on en retire ce qu’on y apporte.
Ambitions
Les gens me demandent parfois ce que je fais avec le bateau. Ils se demandent pourquoi je n’ai aucune ambition pour faire de l’argent ou développer un business de charter, ou une chaîne YouTube. Ils sont déconcertés par le fait que cette lente vie improductive et impécunieuse me suffise à moi, un type instruit plein de potentiel…
Mes ambitions dans la vie sont d’en profiter, de cette vie, de voyager, de naviguer sur un beau bateau, de rester en forme, de manger des trucs sains et bons, de faire de belles rencontres, d’aimer, de partager ma vie avec une femme merveilleuse, d’apprendre le plus possible sur moi-même et sur le monde, d’être libre penseur, de vivre selon mes convictions, de n’être aux ordres de personne et de ne pas avoir à échanger mon temps contre de l’argent.
Il se trouve que notre style de vie me permet de réaliser mes ambitions. Je préfère amplement tout cela à gagner beaucoup d’argent, faire carrière, obtenir une bonne retraite, me payer une meilleure bagnole que celle de mon voisin (ou un cata tout neuf à 800 000 euros), sortir 2,7 enfants, acheter un home cinéma à écran plat, etc…
Chacun son truc, mais je trouve le matérialisme crasse du consumérisme ambiant réellement ridicule et superficiel. Je ne pense pas vraiment que ces choses là puissent rendre quelqu’un heureux. Je pense que ces ambitions que les gens ne voient pas en moi sont celles qui incitent les gens à gâcher leur vie.
La vie sur Karaka est très enrichissante en soi, elle me convient.
Je pense que c’est une erreur d’attendre la fin de votre vie pour faire ce que vous avez vraiment envie de faire. Bien sûr, cela implique de renoncer au confort et à la tradition, mais en contrepartie, il y a une vie qui vaut la peine d’être vécue.
Décider de faire ce que vous voulez de votre vie n’est pas un luxe réservé à une élite, n’importe qui peut le faire.
Les personnes me qui posent ces questions ne semblent pas comprendre qu’il n’y a pas besoin de maisons, de carrières ou de revenus stables pour mener la vie que nous menons, et que cette vie est assez épanouissante en soi sur tous les points.
On se démerde pas si mal et honnêtement, je pense que nous sommes mieux lotis que la plupart des gens qui mènent une vie plus conventionnelle, même s’ils ont probablement plus de sécurité et sont plus riches que nous. Je pense que nous avons plus de liberté, plus de contrôle sur notre propre vie, plus de fun, plus de temps, plus d’aventures et moins de compromis, moins de problèmes avec les lois et les gouvernements, moins d’obligations, que la plupart des gens. Quel autre style de vie donne autant et ne demande si peu en retour ?
Certaines des récompenses de ce style de vie sont évidentes, d’autres non.
Si vous lisez ceci, cela signifie probablement que vous avez considéré les plus évidentes, les îles isolées, les eaux turquoise, les palmiers se balançant dans les alizés, etc., mais rejoindre Karaka est plus que se joindre à un voyage à la voile dans des lieux exotiques, c’est également un aperçu des récompenses moins évidentes de ce mode de vie marin nomade que nous apprécions et que nous souhaitons partager.
La curiosité envers ce mode de vie doit être l’une des raisons pour lesquelles vous songez à nous contacter, sinon vous passez à côté de la raison pour laquelle on partage le bateau.
Retraite de l’esprit
Un autre aspect important de notre mode de vie, peut-être la meilleure récompense que procure la vie de marin, est ce que j’aime appeler : « la retraite de l’esprit » ou ” diet of the mind ” en anglais.
Même si on a de nombreuses opportunités de visiter et de profiter de lieux très animés avec de nombreuses interactions sociales, même dans le port d’une grande ville, on est à l’abri des pressions et des exigences du marketing agressif et de la propagande médiatique.
Il y a quelque chose de très rafraîchissant à ne pas être constamment exposé à la publicité et à la télévision, et nous avons même de longues périodes sans internet.
Il faut un certain temps pour que la plupart des gens s’y habitue, car rares sont les personnes modernes qui ne sont pas accros à un stimulus constant, mais les marins sont parmi les rares humains modernes avec une vraie opportunité de se déconnecter.
Il est difficile de décrire ce qui se passe dans votre processus de pensée lorsque votre cerveau est laissé à lui-même pendant plusieurs semaines.
On oublie combien les médias, en particulier internet via nos téléphones, ont pris de l’ampleur sur nos vies et il faut se déconnecter radicalement, comme en passant quelques semaines au large ou quelques mois dans certaines îles éloignées, pour apprécier à quel point cela nous limite mentalement, créativement, socialement…
Il est très difficile de penser profondément ou d’être très créatif quand on est constamment exposé à la télévision et aux médias sociaux.
Quand est la dernière fois que vous avez écrit quelque chose de profond et de productif sur Facebook ?
Combien d’heures passez-vous chaque jour à regarder des vidéos stupides ?
En contrepartie, lorsque vous naviguez au large ou dans des lieux isolés, avec peu ou pas d’interférences, votre esprit est libre de vagabonder.
Ce qui en ressort est différent pour chacun, mais pour certains, c’est comme une renaissance, ils changent de cap, pour ainsi dire, désactivent le pilote automatique et prennent le contrôle de leur vie. La créativité est renforcée, la philosophie redevient intéressante, les yeux brillent de nouveau et le résultat est souvent glorieux.
C’est comme un voile levé de vos yeux. Vous voyez le monde différemment, comme un lieu plein de merveilles et d’opportunités, le ciel est votre limite, l’horizon votre ami, le temps de votre allié.
Ensuite, bien sûr, vous devez faire face à cela, et cela peut être une autre dépendance.
Mais je pense que le changement est positif.
J’espère que tout cela vous inspire et vous donne une idée de ce qu’il se passe sur Karaka. C’est en tout cas quelques-unes des raisons pour lesquelles nous, navigateurs vagabonds, faisons ce que nous faisons. Je pourrais continuer encore quelques pages, mais le soleil se couche, et je vais prendre un verre de rhum pour célébrer la fin d’une autre journée extraordinaire avec le reste de l’équipage.
Quelqu’un accorde une guitare et j’entends le tintement des verres, c’est le moment de sortir.
Si vous voulez en savoir plus, il vous suffira de venir découvrir par vous-même comment c’est « pour de vrai ».
Et si quelqu’un pense qu’on est cool et veut nous offrir une bière, vous pouvez nous soutenir avec une petit don.
Pour les autres aspects de la vie sur un bateau sans beaucoup d’argent, j’ai rassemblé une collection de conseils et astuces, voir “Tricks of the Trades“.